Un premier article en mai 2022 avait posé les premiers éléments de cette vigilance.
Il avait été complété avec l’arrivée de la méthode DCMR et son utilisation pour l’alpinisme.
http://www.paulogrobel.com/csv-terrain-rocheux-facile/
En juillet 2024, un document très complet de l’ENSA pour la formation initiale des aspirants-guides sur l’assurage en mouvement a servi de base pour ce nouvel article sur la vigilance Terrain Rocher Facile de la CSV Alpinisme.
Le document de l’ENSA est le fruit d’une collaboration avec l’équipe de formateurs des guides suisses, il intègre également le nouvel outil pédagogique Guidoss de l’ENSA, inspiré de DCMR. C’est donc un document technique (et pédagogique) à destination des professionnels, alors que la Cartographie Systémique des Vigilances s’adresse à l’ensemble des pratiquants de l’alpinisme, quel que soit le type de pratique (amateur, associatif ou professionnel) ou les compétences (1er ou second de cordée). Des différences d’analyse sont donc logiques entre les deux documents, en particulier sur la notion d’implication des participants dans la sortie (le Faire Ensemble) et les différentes postures/compétences du leader (guider, former, accompagner un projet).
Cet article est également un document provisoire puisqu’une dynamique de Recherche-Action est en cours pour cette CSV Alpinisme. Et nous vous invitons à enrichir cette réflexion en prenant contact avec l’équipe de travail sur la CSV, en utilisant la page contact de ce site internet ou en postant un commentaire.
De la CSV générique à la Carto des Vigilances Alpinisme.
La CSV générique est le point de départ de toutes les CSV spécifiques de chaque activité. Il est donc nécessaire de bien comprendre les fondements scientifiques et le mode d’emploi de cette démarche globale de gestion d’une activité à risque. Pour passer à la CSV Alpinisme, il est nécessaire de définir les principaux dangers de l’activité, ce seront les vigilances à prendre en compte, liées aux différents terrains parcourus.
https://www.csv-news.com/2024/05/05/csv-alpinisme-a/
Définition du terrain rocheux facile et critères d’évaluation des conséquences.
Le terrain alpin rocheux est particulièrement multi formes, il regroupe les aspects les plus techniques de la randonnée alpine et les plus simples de l’Alpinisme. La difficulté ne dépasse pas le 3+ et la cotation d’alpinisme PD.
Des critères complémentaires sont à prendre en compte comme :
- la qualité du terrain (plus ou moins solide ! )
- La fréquentation et les traces de passages (sentes ou marques de crampons, parfois balisage).
- Et surtout l’exposition d’un passage où de l’itinéraire.
- La verticalité ou la longueur d’un passage sont également à considérer,
- comme la nature du déplacement (en dalle, en traversée, avec ou sans becquets ou possibilités d’assurage).
C’est le C de DCMR, pour conséquences.
Les conséquences d’une chute sont indissociables de la définition du Danger, elles nécessitent du temps pour l’analyse et une attention à la communication avec l’ensemble des participants. Cette analyse permettra de déterminer les Mesures à prendre pour la progression de la cordée et leurs adaptations à tout changement.
Un petit rappel…
La Carto des Vigilances, comme outil de prévention, nous invite à organiser le temps de la sortie.
- Le temps de la préparation avant la sortie avec tous les participants,
- le temps sur le terrain pour observer, échanger et prendre les meilleures décisions possibles,
- le temps après la sortie pour en faire l’analyse, pour la préparation comme pour le déroulement et le ressenti des participants.
La taille de la cordée, du groupe ?
Assurer correctement une personne dans un terrain alpin facile est un exercice difficile qui demande aisance, compétences, attention et collaboration de l’ensemble des participants. Assurer plusieurs personnes complexifie encore plus cette tâche.
Pour une pratique amateur ou associative, il nous semble souhaitable d’évoluer le plus possible en cordée de deux personnes.
Et dans le cadre d’un groupe de plusieurs cordées en autonomie partagée, deux cordées de deux représentent la taille idéale, trois cordées semble un maximun (pour faciliter la communication, la réversibilité, une fluidité de la progression, limiter les chutes de pierre…, etc). Bien évidemment, cette remarque nécessite un questionnement sur les compétences du leader, les attentes des participants, la nature du projet, le choix de l’itinéraire, la réversibilité des cordées.
Bref, beaucoup de sujets qui peuvent être abordés grâce à la Carto des Vigilances.
LES DIFFÉRENTS MODES DE VIGILANCES DU TERRAIN ROCHEUX FACILE.
La vigilance Terrain Rocher Facile est l’une des plus complexes de la CSV Alpinisme car les frontières entre les différents modes de vigilance sont très variables en fonction de l’aisance et des compétences des membres de la cordée.
Comme pour les autres vigilances (terrain glaciaire, pente de neige ou escalade) il existe trois modes très différents symbolisés par les trois couleurs classiques de la CSV (vert, jaune et rouge).
La Carto des Vigilances débute par une préparation graphique de la sortie avec tous les participants, avec une analyse du danger en fonction du terrain à parcourir et des conséquences d’une chute. L’utilisation de la méthode DCMR facilite cette analyse globale. Puis, les 3 différents modes de vigilance représentent les choix de déplacement et en particulier l’utilisation (ou non) de la corde.
• En vert, un déplacement sans corde.
• En jaune, un déplacement encordé simultané, à « corde courte » et « micro longueur » ou à « corde tendue ».
• En rouge, un déplacement encordé, par longueur ou « mini longueur ».
Durant la préparation, il sera souvent très difficile de déterminer quel sera précisément le mode de déplacement à privilégier car les informations disponibles (principalement les topos, écrits ou en ligne) sont peu explicites sur ce sujet.
Il faudra s’en accommoder, faire au mieux et s’adapter sur le terrain. Mais cette première phase de la CSV reste fondamentale pour construire une implication des membres de la (ou des) cordée(s). La définition du projet et la case « participants » de la CSV générique sont particulièrement importantes pour cette vigilance Terrain Rocher Facile, comme pour la vigilance Pente de neige, car les dimensions humaines et groupales y sont très présentes.
1… Le mode de vigilance « sans corde » (en vert).
Peu valorisé, ce premier mode de vigilance est pourtant l’un des plus importants, il caractérise l’aisance individuelle à évoluer dans un terrain complexe, souvent exposé, bien que peu difficile. Cette aisance est aussi la compétence de base pour pouvoir ensuite évoluer une corde à la main en assumant une fonction de 1er de cordée, ou pour être simplement à l’aise au sein de la cordée.
Ce terrain rocheux facile est aussi qualifié de crapahut ou de « terrain à chamois », de randonnée du vertige ou de randonnée alpine. C’est la cotation T4 à T6 d’un itinéraire de randonnée pédestre. Il représente un territoire immense en montagne, un entre-deux, lieu des premières expériences d’alpinisme, lieu aussi de transition entre la randonnée et l’alpinisme. Et, à cause du réchauffement climatique cet espace va encore s’étendre et se complexifier. Au préalable, la vigilance « Sentier/hors sentier » s’est intéressée au concept de marche consciente pour augmenter la qualité de notre motricité (voir la page dédiée à cette vigilance dans la CSV randonnée). Une meilleure conscience/confiance en nos appuis et déplacements est nécessaire/indispensable quand le terrain devient plus escarpé et exposé.
La nuance apportée à ce mode de vigilance concerne l’organisation du groupe. Dans un terrain simple et peu exposé, chacun pourra évoluer « pour soi » (en mode individuel). Quand la situation se complexifie, il sera judicieux d’organiser une collaboration mutuelle entre les participants du groupe, un fonctionnement par binôme où l’un porte attention à l’autre, éventuellement le pare ou l’aide. C’est la stratégie de l’ange gardien (choisi ou désigné). Il peut se positionner soit devant, soit derrière la personne à accompagner. La corde peut également être préparée à l’avance et kitée dans le sac, immédiatement disponible si nécessaire. Les participants auront aussi mis leur baudrier et bien sûr le casque.
Ce changement de paradigme d’un fonctionnement de groupe à la constitution de binôme/de cordée marque le passage à l’Alpinisme.
Certaines personnes, pourtant alpinistes initiés, seront peu à l’aise dans ce terrain à l’exposition plus ou moins marquée. Les facteurs humains ou plutôt toutes les dimensions humaines et de fonctionnement de groupe sont bien présentes dans ce style de pratique et nécessitent une attention bienveillante. Dans le cadre d’une pratique associative (encadrant bénévole diplômé dans le cadre d’une sortie d’un club, avec sa cordée ou un groupe), une attention particulière sera apportée aux conséquences d’une chute, une communication explicite sera également indispensable. Dans le cadre d’une pratique amateur, la situation est globalement identique mais les répercutions judiciaires sont d’une toute autre nature.
Dans tous les cas, le choix assumé par le leader (qu’il soit pro, bénévole ou amateur) sera forcément complexe, à lui d’arbitrer entre les différentes postures possibles et la nature du projet co-construit avec le ou les membres de la (ou les) cordée(s).
2… Le mode de vigilance d’un déplacement encordé simultané (en jaune).
Cette vigilance regroupe trois types de déplacement très différents, à « corde courte », « micro longueur », et « à corde tendue ».
Décider d’utiliser la corde dans la progression est une Mesure supplémentaire de DCMR et demande d’avoir suivi toutes les étapes de la démarche (concrètement l’analyse de D+C), d’avoir échangé avec le groupe ou le compagnon de cordée sur les compétences nécessaires à sa mise en œuvre et sur l’acceptabilité du Risque par chacun.
La marche à corde courte.
Les deux membres de la cordée marche ensemble, reliés par la corde et le leader n’a pas besoin de ses mains pour grimper, il en pose éventuellement une sur le rocher pour s’équilibrer.
La marche à corde courte est une technique complexe qui s’apprend et qui demande un apprentissage et du temps, pour le premier ET le second de cordée.
Le matériel devra être pertinent.
La corde est soit une corde à simple utilisée en simple (préférable) soit une corde à double ou jumelée utilisée en double.
« Un diamètre de corde important facilite le freinage de la corde dans la main en cas de chute, tout comme une corde « légèrement usée » et l’utilisation de gants. »
« Les cordes statiques et hyperstatiques (radeline, etc) sont proscrites pour ce type de progression. »
Les anneaux de buste ou « réserve de corde » :
Il existe plusieurs méthodes avec chacune des avantages et des inconvénients. Perso, j’utilise des anneaux courts non solidarisés et un cabestan sur mousqueton unidirectionnel.
La distance de corde entre le leader et le second :
La corde disponible (la corde de progression + la réserve de corde) est généralement de 6 à 8 m.
Pour progresser :
Le leader tient la corde dans les deux mains. Une main avec la réserve de corde et l’autre main (la main d’assurage) tient la corde qui va vers le second de cordée. Les anneaux de la réserve de corde sont non fermés par un tour mort pour pouvoir coulisser. Tenir la corde pour l’assurage dans la main amont permet d’utiliser les becquets (préalablement testés). Il est nécessaire de bien organiser les anneaux de la réserve de corde (pas trop d’anneaux pour pouvoir les tenir avec les doigts repliés) et en anticipant les changements de direction et donc de main.
La tension de la corde doit être adaptée au terrain.
Toujours tendue mais plus ou moins fermement. Le coulissage de la corde de réserve permet cette adaptation. À garder en mémoire : quand la corde est tendue, la personne déséquilibrée répercute entre 0,8 et 1,2 fois son poids sur l’assureur. « Cet effort augmente rapidement avec du mou : plus de 200 kg par exemple avec 1,5 m de mou, soit une charge impossible à retenir dans ce cadre. »
Quand le terrain devient légèrement plus difficile mais sur un court passage, que le leader est encombré par la corde et qu’il a besoin de ses mains, il est alors nécessaire de changer de mode de progression et faire une micro longueur, puis de reprendre éventuellement la progression à corde courte. La longueur de corde reste identique (6 à 8 m).
La micro longueur.
C’est un court passage (un ressaut) dans une progression à corde courte. L’objectif est de conserver une certaine fluidité dans la progression tout en réalisant un assurage plus efficace ponctuellement.
Un arrêt est donc nécessaire pour ce changement de rythme, pour que le second de cordée s’occupe de la corde et éventuellement assure le leader pendant que celui-ci grimpe le ressaut et se poste dans une position d’assurage stable. Cet assurage peut se faire : à la main, à l’épaule, la corde derrière un becquet ou avec une sangle, parfois en utilisant une protection en place ou plus rarement une protection amovible. Un apprentissage de ce style de progression, comme de savoir tester un becquet est nécessaire avant sa mise en œuvre sur un itinéraire plus sérieux.
« Les chutes en traversée ou en diagonale sont plus difficiles à enrayer. Dans cette situation, l’assurage à la main est à proscrire, on privilégiera donc une assurance au relais (becquet, point fixe, etc). »
La progression à ”corde tendue”.
C’est le sujet le plus délicat à aborder de cette vigilance qui regroupe les progressions simultanées. Le document de l’ENSA insiste avec raison sur la dangerosité de ce déplacement qui est réservé uniquement à une cordée expérimentée.
La technique de “la corde tendue” définie la progression simultanée des membres de
la cordée dans du terrain technique. La corde déployée est de 15 à 20 m, elle n’est pas tenue à la main et doit être tendue. Cette longueur est ajustée en fonction du terrain et des possibilités de mettre en place des points de protection de bonne qualité. La cordée doit être reliée à la montagne par deux points de protection au minimum.
Une utilisation limitée et potentiellement dangereuse.
Cette technique peut être utilisée dans certaines situations particulières (sortie de lon-
gueur inconfortables en bout de corde, sections protégeables aisées pour la cordée,
impératif de grimper pour éviter un danger, recherche d’une zone de regroupement, etc.)
par des alpinistes expérimentés.
Bien utilisée la technique de la corde tendue présente de nombreux avantages :
1- Peu de risque de dévissage de l’ensemble de la cordée.
2- Fluidité et régularité de progression.
3- Rapidité de progression.
Néanmoins, elle n’est pas à systématiser car elle comporte également de nombreux
inconvénients :
1- Il est délicat de garder la corde parfaitement tendue.
2- En cas de chute d’un membre de la cordée, les conséquences sur l’autre grimpeur sont
imprévisibles et le risque de blessure est important.
3- La longueur de la corde déployée engendre une élasticité qui peut
aggraver certaines situations.
Il semble nécessaire de privilégier les mini-longueurs pour apprendre à évoluer avec plus de sécurité, quitte à mettre plus de temps. C’est actuellement un changement de pratique qui nécessite de l’expérimentation pour bien le mettre en place.
Le sujet reste donc ouvert…
D’autres techniques d’assurage existent, utilisant des système autobloquants, ils font partie d’une pratique expert, réservée à des alpinistes très expérimentés.
3… Le mode de vigilance progression en longueur et « mini longueur » (en rouge).
Le terrain devient légèrement plus difficile, plus vertical ou exposé et ne permet plus de progresser à corde courte. Il peut y avoir un équipement en place ou non. Une progression par longueur avec de « vrais » relais est donc nécessaire.
Comme la difficulté n’est pas importante (3+ max), il est préférable de faire de petites longueurs pour éviter le tirage, les chutes de pierres et pour garder le contact entre les membres de la cordée.
« La corde disponible est de 15 – 20 m et il faudra adapter sa longueur en fonction du terrain. Elle doit être aussi courte que possible et aussi longue que nécessaire ! »
« Il est recommandé d’assurer le second sur le relais au demi cabestan.”
Une mise au point du mode de communication entre les membres de la cordée est à prévoir.
Pour plus de détails, se référer à la Vigilance Escalade en Rocher de la CSV alpinisme.
Il existe une documentation technique importante sur ce sujet. Les changements de pratique en cours concernent l’assurage sur point fixe au relais et la manière de coupler ou relier les points d’un relais. Mais, malgré les connaissances et compétences nécessaires, ce mode de vigilance est relativement simple à mettre en place et peu accidentogène.
La descente. A ne surtout pas oublier…
Lors de la réalisation d’une préparation de course avec la CSV, la descente est souvent peu analysée, peu représentée. C’est pourtant une phase importante de la sortie qui mérite toute notre attention.
Pour les trois vigilances, les stratégies seront différentes mais nécessiteront souvent de changer de mode pour plus d’efficacité dans l’assurage.
Sans corde. Descendre est souvent encore plus difficile/délicat/impressionnant/exposé que monter. Il faudra souvent changer de mode et sortir la corde.
En corde courte.
Le fait que l’assureur soit au-dessus facilite une bonne tension de la corde et le réglage de la progression. Mais le choix de l’itinéraire est plus difficile pour le second de cordée quand l’itinéraire n’a pas été emprunté à la montée.
En micro longueur.
Le contrôle de la progression est simple, mais nécessite plus d’aisance pour la désescalade pour le premier comme le second de cordée. Une formation du second de cordée est nécessaire pour être plus actif dans les changements de corde et dans l’assurage.
En mini longueur.
Il faudra choisir entre la désescalade et le rappel, ce qui demande tout deux des compétences précises, pour le premier comme le second de cordée. Un apprentissage préalable dans un terrain adapté est recommandé.
« Mieux vaut faire un rappel sur un relais solide qu’une désescalade exposée et incertaine. Néanmoins, une descente à pied comporte généralement moins de dangers (chutes de pierres, erreur de manips, coincement de corde, etc.) qu’une descente en rappel. »
À chacun de choisir…
En longueur.
La descente s’effectue en rappel.
Le leader s’assure de la solidité des ancrages et renforce si nécessaire le relais : remplace des cordelettes, ajoute un/des point(s) supplémentaire(s), teste les becquets, vérifie et retape les pitons.
L’utilisation d’un nœud autobloquant pour les membres de la cordée, d’un nœud en bout de corde, de gants, d’un nœud reliant la corde au relais inférieur peuvent être utilisé en fonction des situations.
Une suite…
D’autres articles vont compléter ce propos en présentant des exemples concrets de mise en œuvre (le prochain : la Bérangère par Chaborgne avec le CAF de Chambéry ).
Et aussi des topos de course en mode CSV.
A suivre donc.
Vos commentaires, remarques, et suggestions sont également les bienvenues pour enrichir la Recherche-Action en cours.
N’hésitez surtout pas et merci d’avance pour votre contribution.
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