Le témoignage de Fred Darboux, encadrants ski de randonnée CAF GO, à retrouver également sur le site du club.
« Mon « Faire ensemble » dans un club de montagne
Le Faire ensemble est ma méthode de gestion de course lorsque je suis avec des amis en ski de randonnée. Jusqu’à récemment, pour préparer une sortie dans mon club de montagne, je faisais ma CSV dans mon coin et donc un « Faire ensemble » partiel en cours de sortie. Cela changeait déjà de la pratique traditionnelle en club (mais qui n’est plus enseignée) : un « leader » avec des « followers », sans briefing ni debriefing (boire un pot n’est pas un debriefing).
En club, il est difficile de se retrouver physiquement la veille pour préparer la course.
Et je suis retissant à réaliser la CSV sur le chemin du départ, car on est alors déjà engagé pour une destination. Aussi, je m’y suis lancé en début de saison (j’écris en mars 2024) dans une préparation la veille par visio. Dès la fin du premier essai, il était évident pour moi que j’allais poursuivre ainsi.
L’annonce de ma sortie informe les membres du club de la méthode (qu’ils ne pratiquent généralement pas). Ils sont aussi invités à lire mon retour d’expérience avant de demander leur inscription. Spécifiquement pour la visio, je partage à l’écran ma fiche CSV au centre de laquelle j’ai collé la carte topographique du secteur. J’alterne entre les différentes pages web que nous consultons et la fiche CSV qui se remplit progressivement. Dès la visio, les autres membres du groupe sont devenus des participants, chacun à son niveau. Ils ont déjà récupéré des éléments pour la préparation. Ils posent des questions et font des remarques qui enrichissent la CSV. Notre course est mieux préparée et notre groupe a déjà commencé à prendre corps. Le matin, au moment de quitter notre véhicule, le briefing est beaucoup plus succinct : il se limite à passer en revue les écarts par rapport à notre préparation du soir (neige, météo, forme). En cours de course, nous partageons un projet commun. L’itinéraire, les modes de vigilances et les points de décisions envisagés sont connus par avance. Je vais en montagne avec des personnes impliquées. Ma gestion est plus sereine, car je les connais un peu (fatigue de l’un, peurs d’un autre, attentes d’un troisième), et j’ai partagé avec eux les mêmes éléments sur moi-même. Ils savent qu’ils peuvent s’exprimer ; et ils le font.
Cette nouvelle pratique me permet aussi de proposer d’autres types de sorties :
• Des annonces floues. Quelques jours à l’avance, je propose un massif (pour cibler un peu) et une difficulté maximale. Je demande aux participants de m’envoyer leurs suggestions de courses que je transforme en sondage à J-2 (avec quelques informations sur ce qu’il faut attendre de chaque destination). Lors de la visio, après le passage en revue du BERA, de la météo et de nos états individuels (MEFIAT + niveau de ski), on fait un choix collectif parmi nos courses favorites, puis on remplit le reste de notre CSV.
• Des sorties bizarres. Par exemple, je propose une sortie invitant à aller skier sans visibilité pour le plaisir (dont celui de déjeuner en refuge). Il serait périlleux dans ce cas de se retrouver pour la première fois au pied de l’itinéraire pour un briefing forcément assez long, et peut-être de s’apercevoir que certains ne sont pas vraiment là où ils pensent. La visio est alors un très bon moyen de se préparer à ce qui va nous attendre.
• Des débuts de sorties. Je ne connais que le début de l’histoire. Chapitre 1 : une gorge englacée ; chapitre 2 : une grotte en colimaçon ; chapitre 3 : à nous de l’écrire. Autrement dit, une histoire dont vous devez imaginer la suite avant la visio.
Sauf pour les sorties où mon niveau d’engagement risque d’être élevé (du fait de mes propres limites), je n’oblige pas à participer à la visio. Si un participant me dit qu’il ne peut pas y prendre part, pas de problème, on a tous des vies à côté du ski.
Toujours est-il que les participants viennent quasi-systématiquement à la visio.
L’adhésion à mon approche est donc forte alors que l’on ne se connaît pas en général. Jusqu’à présent, le seul participant avec qui j’ai eu une discussion sur le « pourquoi on n’ira pas plus loin » et le « pourquoi on n’ira pas skier plus fort » était celui qui n’était pas avec nous la veille. Comme attendu dans du « Faire ensemble », il a exprimé ses attentes, mais n’avait pas pu prendre connaissances de celles des autres membres du groupe.
Comme la pratique est nouvelle dans mon club, après le débriefing de la course, je demande systématiquement aux autres participants de s’exprimer individuellement sur ce que cela a changé pour eux. Ils disent apprécier de construire la sortie puis de la réaliser.
Ils se sentent participants et pas juste suiveurs (ce sont des mots qui reviennent souvent). Faire ça en visio leur convient ; ils peuvent même y voir l’avantage de rester plus focalisé sur notre CSV (par rapport à une préparation autour d’une table). Tout du long, ils ont apprécié les échanges sur les ressentis, les envies et les inquiétudes. Ils sont heureux d’avoir réfléchi sur la carte avant et pendant la sortie, d’avoir fait la trace, d’avoir pu exprimer leurs idées et ainsi d’avoir pris une part active dans les décisions. Ils ont aimé comprendre pourquoi on passait par ici et pas par là. Ils se sont sentis engagés dans notre histoire d’un soir et d’un jour. De toute évidence, ils n’étaient pas là que pour skier, mais aussi pour partager (l’être humain serait-il un animal social ?).
Je commence toujours la visio par dire explicitement que je ne vais pas les former à la méthode. Je n’ai jamais cherché à les convaincre de son utilité ni au bien fondé de mes pratiques : j’explique simplement ce que je fais, et pourquoi je décide de ceci ou de cela. Cependant, les participants soulignent très souvent une forte satisfaction d’avoir appris des choses. Autrement dit, ils sont arrivés avec un certain niveau de connaissances et pensent repartir avec un niveau supérieur sans être passé par la case « formation ». À plusieurs reprises, pendant ou après le débriefing, des participants m’ont demandé de leur envoyer mon modèle de CSV. Ainsi, il semble que dès leur première participation, ils adhèrent à la démarche et l’envisagent comme une amélioration de leurs propres pratiques pour leurs sorties entre copains.
Et pour moi ? Je pense que cette nouvelle façon de faire me permet :
• Des sorties mieux préparées. Grâce à leurs connaissances, leurs questions et leurs remarques, les autres participants font monter d’un cran le niveau de préparation des sorties, et ce même si c’est quasiment toujours leur première CSV. Même un participant sans formation peut aider : il est déjà parti du même endroit et connait le parking. Voici comment gagner un quart d’heure !
• Des sorties plus en sécurité. J’ai une idée des capacités de mes participants. Ils savent où nous sommes ; ils savent qui est secouriste ; ils savent vers où il faut aller pour trouver du réseau. Même si cela ne m’a encore jamais servi, je pense que la sécurité est donc meilleure pour eux … comme pour moi ! Mon esprit est plus tranquille lors de la sortie : je suis moins perturbé par des « et si… » très personnel.
• Des sorties plus conviviales. Le groupe a commencé à se constituer la veille. Nous avons partagé la préparation de la course, mais surtout nos méformes, nos inquiétudes et nos attentes. Alors, qu’en général, nous ne nous étions jamais rencontrés avant, nous nous connaissons quand même et, en tout cas, nous nous connaissons assez pour fonctionner collectivement. J’apprécie leurs retours et je leur dis. De leur côté, ils apprécient d’être acteur de notre histoire commune, et ils me le disent.
Bref, je n’ai aucune envie de faire marche arrière, et j’espère que je serai encore capable d’améliorer mes pratiques. »
Frédérique Darboux. Hiver 2024
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